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La Chute, acrylique sur toile, 1,50 x 0,80 m, mai-juin 2012, collection privée.

            Cette toile représente, vue de dos debout sur une terrasse, une femme presque nue s’appuyant sur la rambarde ouvragée d’une terrasse richement fleurie surplombant une mer infinie dominée par un vaste ciel zébré de rouge et de bleu.  A gauche du personnage, une fine colonne irrégulière, de ton blanchâtre, relie la surface marine à l’extrémité supérieure du tableau, alors qu’à droite, un avion tracte une banderole publicitaire sur laquelle est inscrit « DEDALE.COM ». Pour tout vêtement, la jeune personne, fine et élancée, porte de longs gants, des bas et des chaussures à hauts talons.  Son visage, peu expressif, bouche entrouverte cerclée de rouge, se tourne vers la gauche.  De grandes boucles d’oreille circulaires forment sa parure.  Le garde-fou de la terrasse porte en son centre un médaillon en fer forgé contenant plusieurs lettres entrelacées. Tout autour courent des guirlandes de fleurs multicolores que complète un petit palmier planté dans une jarre.

            En apparence, l’exquise sylphide dans sa posture cambrée semble le sujet principal du tableau. Le regard du spectateur tombe sur sa chute de reins.  Le titre de l’œuvre paraît pleinement justifié.

            A l’évidence, la scène se déroule dans un univers de luxe et de volupté.  Le garde-corps monogrammé est l’indice la situant dans une somptueuse villa ou un hôtel de prestige sur une quelconque riviera que signale la présence du palmier.  La jeune personne ne craint pas de sortir dévêtue.  Privilège qu’autorise l’aisance matérielle, le point de vue exceptionnel lui appartient, à elle seule.  Elle ne peut être épiée.  Le soleil démesuré, rougeoyant, dissout dans l’air chaud suggère un début de soirée estivale.  La journée de la jeune femme, riche héritière désœuvrée ou escort girl, s’est achevée dans des moments de plaisir qu’elle a sans doute pimentés avec un accoutrement dont elle porte encore les vestiges. Impassible, rien ne semble la troubler, la sortir de sa rêverie, ni le moteur de l’avion, ni le phénomène qui s’est produit sous ses yeux et qu’elle ignore.  La publicité qu’étale bruyamment l’aéronef dans le ciel ne lui est pas destinée.  Sans doute un constructeur de résidences de vacances qui a pris pour enseigne le nom de l’architecte de la mythologie grecque veut-il se manifester aux yeux des estivants qui s’entassent sur une plage populaire non loin.

            Par certains aspects, le style de Christian Cantos se rapproche parfois du langage formel de la bande dessinée. Pour exprimer le mouvement ou le parcours suivi par un mobile, ce genre artistique utilise des conventions graphiques, comme des traits ou des hachures censés inscrire dans l’image la trace d’un déplacement1.  Il est permis de penser que la colonne qui apparaît à gauche de l’image répond à cette préoccupation.  L’artiste a vraisemblablement voulu exprimer le fait que quelque chose est tombé du ciel et a été englouti par les flots. Cette constatation oblige à reconsidérer deux autres éléments iconiques : le personnage et la banderole publicitaire.

            A n’en pas douter, en écrivant le nom du père d’Icare sur la toile, Christian Cantos a voulu mettre le spectateur sur la voie.  La chute ne serait pas celle qui saute aux yeux ; ce serait plutôt celle que l’on ne voit pas, celle du fils du concepteur du labyrinthe, d’Icare avalé par les eaux.  Dès lors, la jeune pin-up ne peut être isolée, détachée des événements qui l’entourent.  C’est à elle forcément que ces signes s’adressent.

            A la réflexion, la peinture de Christian Cantos peut être rapprochée du Paysage avec la Chute d’Icare2 de Pierre Bruegel l’Ancien qui pourrait avoir inspiré l’artiste contemporain.  La composition est assez semblable.  Dans les deux cas, le peintre a privilégié une vue plongeante sur une étendue marine.  Dans les deux scènes, les personnages sont indifférents au drame qui se déroule sous leurs yeux : le laboureur, le berger et le pêcheur, que Bruegel a empruntés à Ovide3, ne prêtent aucune attention au triste sort d’Icare4, tout comme l’hétaïre de Cantos demeure étrangère à l’événement.

            Le tableau de Bruegel, on le sait, peut se comprendre comme une mise en image de la portée symbolique du mythe d’Icare, la sanction de la témérité5.  L’homme doit rester à sa place et ne pas braver les forces qui le dépassent.  Tous les personnages représentés par le maître flamand sont des travailleurs humbles, de la terre (des paysans) ou de la mer (le pêcheur autant que les marins sur la caravelle)6.  Ils posent les gestes que leur condition leur assigne. Par contre la jeune personne dépeinte par Cantos n’exprime que l’oisiveté, l’indolence. Par sa naissance sans effort ou par les faveurs qu’elle a accordées, elle a accédé à un univers exempt de contraintes, au luxe absolu que Christian Cantos exprime par une profusion de guirlandes de fleurs, rappelant lointainement la peinture de Breughel de Velours.

            La jeune femme nue de Cantos appartient à la jet-set, aux happy few qui souvent oublient l’existence des tâcherons de Bruegel.  Comme Icare, elle est montée très haut, mais dans la société, non dans les airs.  C’est à elle – effectivement véritable sujet du tableau – que le peintre s’adresse en détournant de manière allégorique la légende antique pour traduire en image un proverbe ancien : « Qui plus haut monte, qu’il ne doit, de plus haut chet qu’il ne voudroit ».

Athénaïs Rz, juin 2012 (mise à jour : décembre 2019)

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Notes

1        Athénaïs Rz, Peinture contemporaine. Essai sur la peinture actuelle, suivi de seize textes critiques, Virton, Le Comble, 2016, p. 37-39, et références citées.

2        Fin XVIe – début XVIIe, Musées royaux des Beaux-arts, Bruxelles.  La toile de Bruxelles est une copie d’un original probablement perdu : cf. Dominique Allart et Christina Currie, « Trompeuses séductions. La Chute d’Icare des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique  », CeROArt [En ligne], HS | 2013, en ligne depuis le 11 février 2013, consultation du 2 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/ceroart/2953.

3        Dans le L. VIII des Métamorphoses.

4        Philippe Roberts-Jones souligne qu’ils sont « attelés à leur tâche, ancrés dans leurs occupations » (Bruegel. La Chute d’Icare, Fribourg, Office du Livre, 1974, p. 20).

5        Idem, p. 28.

6        En cela, Bruegel suit Ovide, mais il ajoute le vaisseau et ses marins.

Choc de Civilisations, technique mixte sur toile (mix de peinture de Christian Cantos avec des photos originales de Michel Léger), 80 x 120 cm, 2009.

            Le champ où Jean-François Millet (1814-1874) a peint L’Angélus (1858, Musée d’Orsay) se trouve juste à l’entrée de Barbizon, à droite, en venant de Chailly-en-Bière  (D64).  Située en zone inconstructible et placée sous la protection d’un panneau touristique commémorant l’événement, la parcelle toujours vouée aux travaux agricoles ne deviendra probablement jamais un terrain de golf.  Que Christian Cantos le sache ou non importe peu.

            En créant Choc de Civilisations (2009), l’artiste, foncièrement pacifique, n’a certainement pas voulu exprimer l’idée qu’un mode de vie en balaye violemment un autre, ancestral, sur sa propre terre.  Le tableau faisait l’affiche de l’exposition de Cantos à la Galerie Titren de Beaune en octobre 2009.  Invendu sans doute parce qu’incompris, il est actuellement visible à la Galerie Expérimentale à Mane-en-Provence (jusqu’au 30 septembre 2013).  L’œuvre appartient à la série issue de la collaboration réussie entre le peintre et le photographe Michel Léger.

            Au centre de la composition, est représenté, occupant plus de la moitié de la hauteur de la toile, un jeune homme dégingandé, à la face juvénile et aux mèches folles, debout dans la posture du golfeur s’apprêtant à frapper la balle du club qu’il tient de ses deux mains derrière la tête.  Aux pieds du personnage vêtu d’un pantalon moulant, d’une chemise flottante à courtes manches et d’une cravate, est intégrée à l’œuvre une photo de la scène mythique de L’Angélus.  Réduits à une taille lilliputienne, les paysans recueillis de Millet opposent leur immobilité pieuse à la fougue du jeune cadre décontracté.  A l’arrière de cette double scène, là où le maître du XIXème siècle avait dépeint une plaine immense et déserte, s’élève un mur hostile et scrutateur composé d’un amoncellement de buildings et gratte-ciels que domine le rouge menaçant d’un ciel hachuré.  Contrairement à une idée reçue, le golf n’est pas l’apanage d’inactifs oisifs.  Ce sport permet au citadin hyperactif, stressé par les contraintes professionnelles, de s’évader dans une communion avec la nature, tout en continuant toujours à exercer son esprit de compétition.  La ville qui toise le golfeur est l’univers de labeur dont il s’est un moment extrait.  Les ramasseurs de pommes de terre, eux, au cours d’une journée de peine s’évadaient par trois fois dans la prière.  Tous les trois en vérité, nous dit l’œuvre de Cantos, sont de la même trempe, celle des travailleurs sans doute acharnés qui cherchent pour un instant un autre horizon.  La civilisation a changé, l’horizon aussi.  Les confronter provoque un choc.

            Il reste qu’une analyse exégétique se fondant uniquement sur les éléments iconiques et sur une considération superficielle quant  à la personnalité de l’auteur peut produire un commentaire éloigné de l’intention initiale de l’artiste.  Une donnée objective conforte toutefois la position adoptée ici.  Si le tableau peut chronologiquement avoir été créé sous le coup d’une émotion due à la crise financière 2008-2009, l’auteur confesse avoir renoncé au titre initial pour lui préférer une formule non passionnelle, inscrivant l’œuvre dans une réalité historique plus large.  En fait, le regard du personnage principal, dirigé vers le spectateur et non vers le sol, confirme que Christian Cantos, une fois passée la rage peut-être, n’a pas voulu placer les deux scènes en interaction, mais seulement les confronter.  Non les faire s’affronter.

A. Rézette, mai 2012/août 2013.

La nouvelle Origine du nouveau Monde a été inspirée à Christian Cantos par l’actualité en France en ce début 2013.  Le débat sur le mal-nommé « mariage pour tous » y a télescopé la morbide découverte de la prétendue décollation du modèle de la célèbre œuvre de Gustave Courbet.  L’œuvre de Cantos met en scène un personnage hybride et composite, affalé sur une sorte d’autel recouvert d’un drap.  Le bas ventre féminin est emprunté au tableau du maître français du XIXème.  Des prothèses à l’allure de mécanique robotique se substituent aux jambes amputées.  Une tête chauve et barbue somme le corps.  Dix cornes noires acérées dardent du crâne.  Un monstre à sept têtes hurlantes plane au dessus de l’étonnante créature qui écarte les bras et, du droit, dévoile son corps de femme.  La Bête de l’Apocalypse, incarnation du Mal, s’offre en spectacle urbi et orbi.  Elle signifie au spectateur du XXIème siècle que les errements éthiques, les manipulations génétiques, les compromissions politiques mènent à son triomphe : la fin du monde, l’infécondité  de l’espèce.  Au temps de Courbet, l’origine du monde était celle que la nature lui assignait.  Au temps de Cantos, le monde politique nie l’origine naturelle de l’espèce.  Le Mal est prêt à s’emparer de ce qui, pour beaucoup, était un progrès sociétal.

Texte publié sur Facebook par Alain Rézette à titre personnel en avril 2013.  Les propos n’engagent que l’auteur du texte.

Une Seconde d’Eternité, acrylique sur toile, 73 x 55 cm, 2013.

Texte 1.

L’éternité appartient à Dieu, la finitude est la condition de l’homme. Le titre du tableau de Christian Cantos, « Une Seconde d’Eternité », induit l’idée d’une confrontation insensée, d’une comparaison sans raison. Qu’est donc cette seconde d’éternité ? Un unique personnage, inscrit sur un fond de roues dentées, forme seul la composition de l’œuvre. Son visage juvénile somme un maigre corps entouré de bandelettes à la manière d’une momie. La face est en éveil, le corps mort en mouvement. Jambes fléchies, tronc bien droit, bras pliés, l’un verticalement, l’autre horizontalement, le jeune homme semble accomplir une figure chorégraphique. A moins que ce deus ex machina ne se prenne pour le Christ du Jugement Dernier de la Chapelle Sixtine ? Un nimbe en effet, à l’allure de pignon, lui ceint le chef. Il s’imbrique dans les autres pièces mécaniques pour former une machinerie. On sait que Christian Cantos recourt fréquemment aux codes iconiques de la bédé ou du dessin animé. Dans cet univers plastique, un engrenage signifie la réflexion, le cerveau en action. Le personnage cantossien, à peine né déjà mort, pense, ne fait que penser : c’est sa fonction sur terre d’être doué de raison. Qu’importe l’infime durée de son existence, il possède la faculté de délibérer. L’espace d’une seconde, il est l’égal de son créateur. Pour le meilleur ou pour le pire.

Texte 2.

Mon commentaire de l’œuvre se fonde d’abord sur ma connaissance de l’artiste, lequel ne fait pas mystère de sa foi chrétienne.  Ensuite, comme cela est souvent le cas, le titre de la peinture est accessoire.  S’il dévoile en partie le sujet, l’artiste peut l’avoir choisi malhabilement.  Le titre, pour être compris, doit donc être confronté à l’image.  Je reçois volontiers l’argument selon lequel une seconde d’éternité ne peut être que l’éternité elle-même.  L’éternité est infinie.  Rien d’autre qu’elle-même ne peut lui être retranché puisqu’elle demeure infinie.  Par hypothèse, c’est tout ou rien.  Je doute que ce soit la signification retenue par le peintre.  La figure humaine représentée est un mort vivant : l’homme à peine à la lumière est déjà dans les ténèbres.  D’où l’idée de brièveté et de finitude de l’existence.  C’est ici que le titre intervient pour comprendre l’œuvre, car rien dans l’image ne renvoie à l’éternité, si ce n’est – mais par une association d’idées peu légitime – l’auréole.  Du titre se déduit l’intention de l’artiste de confronter le fini à l’infini, l’éphémère à l’éternel.  Pendant sa brève existence, l’homme, qui participe du divin – ce que signifie le nimbe -, est pris dans un engrenage dont il est un des rouages mais sur le fonctionnement duquel il peut influer.  Je conviens toutefois que j’ai été influencé par la gestuelle du personnage que j’ai rapprochée spontanément, mais peut-être à tort, de celle du Christ de Michel-Ange.

Les deux textes ci-dessus dus à Alain Rézette sont extraits d’une discussion qui s’est déroulée sur Facebook en 2013.  Ils n’engagent que leur auteur.

Allégorie de la Victoire 80×70 cm acryl. sur toile

On commémore cette année le début de la Grande Guerre.  Beaucoup évoquent simultanément la fin de cette tragique période  et préfèrent célébrer, par anticipation, la victoire et la paix retrouvée.

Intitulée par l’auteur « La Consolatrice du Soldat », cette acrylique sur toile de 60 x 45 cm signée Christian Cantos représente une jeune femme de constitution svelte assise à califourchon, à peine en équilibre, sur le bord d’une chaise Thonet.  Le bras gauche, plié, repose par son coude sur le dossier du siège alors que le bras droit, tendu, s’appuie, par sa main, sur l’assise.  Le visage, flanqué de longs cheveux, offre une bouche entrouverte marquée par un contour rouge vif.  La jeune personne semble saisie sur le vif, en train de parler ou de chanter.  Elle porte un casque de combat français du modèle Adrian 1915.  De sa main droite, elle esquisse un salut militaire.  Son corps, en grande partie dénudé, est couvert par de longs bas, un slip et un court chemisier déboutonné et noué sous la poitrine.  Le reste de l’image est rempli de petites formes planes colorées, pour la plupart des quadrilatères, qui paraissent flotter alentour.

Un cliché, devenu archétypique, vient immédiatement à l’esprit du spectateur : Marlène Dietrich dans « Der blaue Engel » chantant “Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt” (« Falling in Love Again »).  La scène, par le charisme de l’actrice d’origine allemande, par l’engagement aussi de celle-ci aux côtés de l’armée américaine en 1940, autant sans doute que par la répétition de la posture, est devenue emblématique du soutien au moral des troupes.  Au moyen d’un anachronisme qu’autorise la licence artistique, Christian Cantos convoque Lili Marleen pour donner un contenu non équivoque à une image évoquant la guerre de 14-18 dans les rangs français.  Pour le peintre, il ne peut s’agir d’avilir la femme mais plutôt, très probablement, entend-il saluer, en recourant à une séquence de cabaret, celles qui ont, d’une manière ou d’une autre, atténué la peine des poilus.  La démarche du plasticien de Montmédy n’est guère éloignée, tout compte fait, de celle d’un Mel Ramos qui utilise la nudité féminine pour dénoncer le sexisme.

L’hommage rendu par Cantos semble toutefois plus profond, plus signifiant.  Le déferlement de confettis renvoie à une « ticker-tape parade » américaine, une sorte de triomphe.  La guerre est finie.  On fête l’armistice.  Pour incarner la Victoire aux yeux de tous, le peintre choisit une anonyme chanteuse d’estaminet.  La Victoire est aptère.  Elle est terrienne, parmi les hommes.  Elle n’est pas juchée sur un char, mais se contente, pour se camper, du siège le plus trivial qui soit.  Cantos crée ainsi une Allégorie de la Victoire qui parle à tous dans leur langue, celle des hommes et non  celle des dieux.  La victoire se gagne.  Elle n’est jamais donnée. C’est elle qui, le mieux, consolera le soldat des douleurs qu’il a connues.

A. Rézette, Virton, mars/mai 2014.

Le quatrième Roi mage ou Le Quatrième, acrylique sur toile, 1,20 x 1,20 m, 2011, un collectionneur privé l’à cédée au musée gaumais à Virton en mars 2020

            Le tableau de Christian Cantos donne à voir une image1 parmi les plus répandues depuis l’avènement de l’ère commune.  Elle montre un crucifié élevé entre deux autres condamnés.  Devant ce criminel coiffé d’une couronne hérissée de piquants, Christian Cantos2 fait se tenir debout un homme pauvrement vêtu.  Celui-ci, apparemment interloqué, a suspendu tout mouvement, après avoir déposé à terre le sac qu’il portait. Un rayonnement puissant émanant de la croix et de sa victime l’atteint.  Il touche aussi le supplicié placé à la droite de celui dont la croix porte un écriteau marqué des lettres INRI, mais il épargne celui de gauche, visible seulement en partie.  À la base de la croix centrale, paraissant même la supporter, gît un énorme crâne humain entouré de dix triangles acérés, de la même couleur rouge que le sol.  À l’arrière du cruel spectacle se dessinent, en plein milieu de la composition, les formes sommaires de trois édifices aigus et élancés.  Le drame se joue par une nuit noire.  Aucun astre ne luit.  Un ciel hachuré de stries horizontales blanchâtres domine la scène.  Des traits et des traces, donnant par endroit une impression de réseau abstrait, parcourent apparemment aléatoirement la composition.

            L’œuvre est à l’évidence narrative.  C’était le dessein de l’artiste3.  Dans ce travail de commande, celui-ci raconte une histoire, ou plus précisément la fin de celle-ci, la morale de la légende du quatrième roi mage que relate Michel Tournier dans Gaspard, Melchior & Balthasar.  Mais à l’instar de Jacques-Louis David pour son Bélisaire demandant l’aumône qui s’inspire aussi d’une œuvre littéraire4, Cantos a inventé, ou plutôt restitué, un épisode qui ne se trouve pas dans le roman.  Dans la version de l’écrivain, Taor, Prince de Mangalore, arrive, après le départ de Jésus et de ses commensaux5, dans le cénacle vide où il décède.  Définitivement il a manqué son rendez-vous avec le Messie.  Le peintre, lui, veut mettre en présence les deux condamnés, le prince déchu et ruiné et le roi des Juifs trahi et martyrisé.  Le Golgotha en est le lieu. Le moment choisi – après que l’obscurité se soit faite6– exprime, comme l’a fait Tournier, l’impossibilité d’une rencontre : le Christ est déjà mort.  Pas un seul luminaire céleste ne brille.  L’étoile des mages s’est éteinte.  Le quatrième de ceux-ci qui a, pour peine de sa seule bonté, passé trente-trois ans dans les mines de sel de Sodome, apportait un présent, le seul qu’il ait pu : un sac du précieux minerai.  Inutile offrande désormais, mais attribut nécessaire au fonctionnement de l’image en ce qu’il dénote7 la qualité du personnage.  Lui fait pendant un gigantesque crâne, tout aussi imposé par la tradition, tout à la fois vanité, chef adamique8 et Golgotha9 même.  La confrontation bouleversante de ces deux éléments iconiques impose dans la toile une tension tragique que vient compenser la relation inédite10 entre le Christ en croix et une construction en devenir.  La Passion du Christ fonde la nouvelle Église que symbolisent les flèches ébauchées d’une cathédrale à l’allure de Sagrada Família.

            Cherchant à créer une image à valeur universelle, Cantos ne pouvait se satisfaire de l’épilogue formulé par Michel Tournier : « Le ciel nocturne s’étant ouvert sur d’immenses clartés, écrit le romancier, (les anges) emportèrent celui qui, après avoir été le dernier, le perpétuel retardataire, venait de recevoir l’eucharistie le premier. » Taor, qui par pur altruisme a, pendant la durée de la vie de Jésus, subi un châtiment à la place d’un autre, est récompensé.  La conclusion est individuelle, personnelle.  En amenant le protagoniste devant la croix, le peintre crée une scène nouvelle à dimension cosmique.  Le prince indien devient un parangon d’humanité, l’archétype des élus qui entreront dans la lumière de Dieu qu’il reçoit le premier.  Ici la forme seule parle.  L’imagier se départit de tous les textes, évitant du même coup, pour lui comme pour le spectateur, l’écueil du logocentrisme. Étrangère à la représentation traditionnelle de la crucifixion,  la bénédiction jaillissant du Corps mort et de son instrument de supplice, est recueillie par les Justes et leur Église.  Par cette composition originale, Cantos renoue avec la signification que revêtait la représentation de cette scène à la fin de l’Antiquité.  « (…) En ce temps-là, écrit André Grabar, les images de la crucifixion ne servaient pas à rappeler la réalité de la mort du Christ, mais à montrer sa gloire, sa victoire sur la mort (comme symbole de la Résurrection), l’universalité du salut par la croix, etc. »11.

            L’œuvre étudiée, dont la réalisation avait imposé à Christian Cantos de se documenter, induisit une modification très perceptible dans le travail de l’artiste et dans la création de certaines de ses images.  Sensible de longue date au contenu des Évangiles et d’autres écrits sacrés, apocalyptiques ou prophétiques, le peintre laissait libre cours à son imagination dans la traduction visuelle des rares  thèmes qu’il en explorait parfois.  Jamais, semble-t-il, il ne dialoguait avec l’histoire de son art. Au mieux, faisait-il usage de poncifs appartenant au patrimoine visuel commun. On citera pour illustrer le propos une trilogie exceptionnelle pour laquelle l’artiste avait récupéré l’iconographie élémentaire de la crucifixion, de la piéta et de la mise au tombeau.  On mentionnera aussi deux toiles de 2009, Fausse couche et Les Démons de l’église, qui traduisent des impressions ou des réactions spontanées du peintre à la lecture de passages de l’Apocalypse de Jean.

            Après 2011, la démarche devient rationnelle. Christian Cantos approfondit ses lectures, les diversifie aussi, quittant occasionnellement son domaine de prédilection, prend du recul et puis adopte une position politique, sociétale ou éthique.  De même, il approche régulièrement les œuvres du passé et s’intéresse à leur contexte de création autant qu’à leur signification. On évoque brièvement quelques exemples. En 2012, la première œuvre majeure de cette période nouvelle s’intitule En manque d’amour.  Elle reprend dans les grandes lignes la composition du Bélisaire de David dont elle réinvente le thème en le généralisant.  Suivent, en 2013, notamment La nouvelle origine du nouveau monde au moyen de laquelle l’auteur s’exprime sur le « mariage pour tous », récupérant la toile célèbre pour attirer l’attention sur son propos, La surprise du colosse qui offre une leçon tirée du livre de Daniel et La bouche de la Bête qui appelle à la vigilance face aux ruses du Mal.  À l’occasion du centenaire du début de la Grande Guerre, le peintre interroge l’Histoire dans un puissant diptyque où, convoquant la Semeuse d’Oscar Roty, il oppose la luxuriance des Années Folles à l’horreur des massacres des soldats français dès l’entame du conflit. En 2015, de manière radicale, le peintre dénonce l’orgueil, le pêché capital qui risque de conduire l’Humanité tout entière à sa perte : l’Entrée dans le monde d’Adam et Eve inverse le récit de la Genèse ; ce sont les premiers humains, imbus d’eux-mêmes, qui fichent le camp et l’ange, lui, qui les supplie.

            La voie que Cantos s’est ouverte conduit presque naturellement notre artiste à se rapprocher de hauts lieux chrétiens du pays où il a, de longue date, établi son atelier. Pour la basilique Notre-Dame d’Avioth, en 2016, il est invité à s’exprimer sur le thème de la Miséricorde. Et, en 2018, c’est à l’Abbaye d’Orval qu’il expose. Une toile créée pour cet événement doit être mentionnée pour notre propos : elle s’intitule Poursuivie par la Bête. L’année 2019 quant à elle voit resurgir la préoccupation politique dans le travail : À ma Terre, reproduisant la composition du Marat assassiné de David, pointe la trahison de certains décideurs qui cèdent sous la pression de grands groupes industriels. Mais le questionnement spirituel semble, cette même année, se confirmer comme le moteur principal du travail, à en juger par le grand polyptyque (120 x 276 cm) Man Power dans lequel l’auteur oppose la lumière d’essence divine aux ténèbres d’émanation humaine.

            On l’aura compris, Le Quatrième apparaît comme un jalon essentiel dans l’évolution du travail de Christian Cantos.  Se pose dès lors la double question de la nature de cette image et de sa signification pour son créateur.  S’agit-il tout d’abord d’une peinture religieuse ?  Assurément non.  L’image n’a nullement pour vocation d’inciter à la dévotion ou à la conversion.  Elle a été, rappelons-le, inspirée par la lecture d’une partie d’un roman, elle-même tirée d’une légende.  Synthèse originale certes entre les iconographies de la naissance et de la mort du Christ, elle n’en illustre pas pour autant l’histoire sainte ni un article du dogme.  Participerait-elle alors d’une sorte de retour du sacré, procédant soit d’une adhésion sincère du peintre à ce supposé phénomène12, soit de sa contamination par un effet de mode ?  À cet égard, l’importante exposition Traces du sacré, au Centre Pompidou, qui s’est déroulée trois ans avant la création de l’œuvre examinée a donné « une place centrale »13 à l’homme bien plus qu’à Dieu, indice que le sacré, même quand il est nommé, n’est pas en soi au cœur des préoccupations artistiques.  Il reste que Christian Cantos a peint une Crucifixion aussi inattendue que peu banale.  Un tel geste n’est ni accidentel ni arbitraire.  Pour accéder à une telle œuvre d’art contemporaine, Johannes Stückelberger recourt au concept « d’expérience religieuse »14.   Face à un tableau qui reprend ou intègre un motif religieux, cet auteur considère que l’expérience religieuse du spectateur est nécessairement intellectuelle en ce qu’elle doit suivre la méthode de l’iconographie qui permettra de lire et interpréter l’image.  C’est précisément la voie qu’on a suivie. Elle a permis de démontrer la nouveauté et l’universalité de l’image.  Du point de vue du spectateur, l’expérience religieuse est accessible.  Mais rien n’est apparu de celle du créateur.  Quelle a été son « expérience religieuse » à lui dans la confection même de la toile ?  On peut raisonnablement supposer que ce qui est non nécessaire, mais signifiant, ce qui n’apporte a priori rien au spectateur, mais que le peintre n’a pas pu ne pas représenter est ce qui, à ses yeux, a le plus d’importance.  Des éléments iconiques inventoriés, un seul n’a pas été utilisé dans l’analyse : les dix triangles entourant le crâne, qui apparaissent comme écrasés par celui-ci et la croix qui le surmonte. À première vue, ce détail pourrait sembler un ornement kitsch, mais il n’en est rien.  Le peintre s’en est expliqué : ce sont les dix cornes de la Bête de l’Apocalypse15.  Elle est là l’expérience religieuse de Cantos : terrasser symboliquement la Bête, elle qui hante son œuvre.

            Concluons, tout en évacuant un potentiel malentendu.  Si tout l’œuvre peint de Cantos, déjà vaste, est enveloppé, voire empreint de spiritualité, les tableaux sont pour l’essentiel des scènes de genre qui n’ont aucun rapport avec la religion.  Seules quelques toiles, devenues plus fréquentes après 2011 (surtout de 2016 à 2018), convoquent des motifs ou exploitent des thèmes sacrés.  Dans celles-ci, une irrépressible contrainte impose à la main de l’artiste de représenter la Bête de l’Apocalypse, parfois de manière allusive comme dans l’Adam et Eve ou dans Man Power, parfois de façon presque subliminale, tel À ma Terre.  Cette figure déroute considérablement le spectateur lorsqu’elle apparaît dans des transpositions du Bélisaire de David ou de L’origine du monde de Courbet.  Cette récurrence ne s’explique que par la prégnance encore vive d’une expérience sataniste déjà ancienne dont l’artiste a, semble-t-il, eu peine à s’extirper.  L’image de la Bête aurait alors, au regard de cet antécédent, une fonction apotropaïque.

Athénaïs Rz, janvier 2020 (pour la version mise à jour)

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Notes

1        On vise ici la convention iconographique à identité propre qui constitue l’essence de l’image concernée, à savoir : sur une colline, trois croix juxtaposées dont l’une est mise en exergue.

2        L’œuvre a été dévoilée le 24 septembre 2011 au cours de l’exposition collective Ex Tela I (22-25 septembre 2011, Caves de l’Hôtel de Ville de Virton, Belgique). Le même jour, elle a fait l’objet d’une conférence donnée par Mme Pauline Donceel-Voûte, professeur d’iconologie à l’Université Catholique de Louvain.  L’auteur a consulté les archives de cette exposition conservée au siège de l’asbl Galerie du Comble à Virton.

3        Les affirmations de l’auteur quant à l’intention de Christian Cantos, aux circonstances de la commande de l’œuvre étudiée, à la biographie du peintre ou à l’évolution de son travail résultent d’entretiens avec celui-ci, principalement le 19 novembre 2015 dans son atelier de Montmédy (Meuse).

4        Bélisaire de Jean-François Marmontel (1723-1799), paru en 1767.

5        « La salle était vide. Une fois de plus, il arrivait trop tard. On avait mangé sur cette table. Il y avait encore treize coupes (…) » (Michel Tournier, Gaspard, Melchior & Bathazar [1980], s.l., Gallimard, coll. folio 1415, imp. 5 mars 1992, p. 272).

6        Mt, 27, 45-50 ; Mc, 15, 33-37 ; Lc, 23, 44-46.

7        Louis Réau souligne que les mages sont « caractérisés » par leurs offrandes (Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien. T.II. Iconographie de la Bible. II. Nouveau Testament, Paris, P.U.F., 1957, p. 241). Matthieu les cite expressément (Mt, 2, 11).

8        André-Marie Dubarle, « Adam », Encyclopaedia Universalis [en ligne], consulté le 30 décembre 2015.

9        « Les Evangélistes rappellent tous les quatre (…) que la colline du Golgotha, sur laquelle Jésus fut crucifié, signifie en araméen «crâne», sans doute parce que ce tertre dénudé avait l’apparence d’un crâne chauve. » (Louis Réau, op. cit, p. 488).

10      La relation singulière, particulièrement mise en évidence, de ces deux éléments de l’image semble inédite. Toutefois la représentation d’une église destinée à montrer presque didactiquement les effets de la Rédemption, pour inhabituelle qu’elle paraisse, est attestée : cf. Stefano Zuffi, Le Nouveau Testament, Paris, Éditions Hazan, coll. Guide des arts, 2003, p. 305.

11      André Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne. Antiquité et Moyen Âge, Paris, Flammarion [1979, coll. Idées et Recherches], 1994, coll. Champs 615, p. 225.

12      Il est indéniable qu’ « il se passe quelque chose », mais quelque chose de complexe qui ne peut se résumer à un  retour du sacré.  Jérôme Cottin constate que « (…) les notions de religieux, de sacré ou de spirituel ne sont plus taboues dans les milieux de l’art.  Cela constitue un changement assez significatif dans les relations entre l’art contemporain et tout ce qui qualifie l’irrationnel, la transcendance, Dieu. » (« État de la question » dans Jérôme Cottin, Wilhelm Gräb et Bettina Schaller (éd.), Spiritualité contemporaine de l’art. Approches théologique, philosophique et pratique, Genève, Labor et Fides, 2012, p. 15-16).

13      Bénédicte Ramade, « Traces du sacré. Centre Georges-Pompidou, Paris » dans Universalia 2009, p. 405.

14      « Art contemporain et expérience religieuse » dans Jérôme Cottin, Wilhelm Gräb et Bettina Schaller (éd.), op. cit., p. 181.

15      « Alors je vis surgir de la mer une Bête ayant sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. » (Ap, 13, 1).

Pour Christian Cantos !

J’ai le plaisir de défendre Christian Cantos depuis 2011. J’ai ainsi organisé avec lui quatre expos solos dans mes galeries et deux portes ouvertes de son atelier à Montmédy-Citadelle, sans compter les expos de groupe auxquelles il a participé. Cette déjà longue expérience a été très enrichissante pour moi (à certains égards), mais il me faut me rendre à l’évidence : certains tableaux de Christian ne sont pas (facilement) vendables. Néanmoins je vais à nouveau les exposer. Parce que l’argent n’est pas tout. Parce qu’un artiste qui s’exprime avec autant de talent que de sincérité, autant d’acharnement que d’honnêteté, autant de persévérance que de franchise, mérite que tous les aspects de son travail soient montrés au public.

En 2011, dans Ex Tela I – l’expo de groupe qui précéda l’ouverture des galeries (Le Comble et la Centenaire) – Christian Cantos présenta une toile appelée Fausse Couche. Installé dans un dispositif évoquant celui qui jadis, chez un collectionneur, dissimulait au regard l’Origine du Monde, le tableau suscita des réactions indignées, voire violentes, mais totalement injustifiées. Avec cette image, l’artiste n’avait fait que donner son sentiment sur la tournure que prenait l’Histoire (et qui s’est tristement confirmée depuis), sans chercher à provoquer, ni à se faire remarquer. Si tel avait été son dessein, il aurait eu plus facile d’aller exhiber son sexe devant le tableau de Courbet à Orsay. Fausse Couche est toujours à l’atelier. Elle sera à nouveau accrochée dans la prochaine expo, à la Galerie du Comble, en décembre, aux côtés de toiles plus récentes – quelques unes déjà vues à la Centenaire dans J’apocalypse – et d’autres spécialement créées pour l’événement.

Cette prochaine expo solo de Christian Cantos à la Galerie du Comble s’intitule « Illuminations enténébrées », parce qu’elle se déroulera au moment où les guirlandes de Noël seront allumées, dans les rues comme dans les intérieurs. Mais que peuvent encore ces anémiques loupiotes contre les noires nuées qui s’amoncellent sur l’avenir de l’Humanité ? N’y a-t-il pas déjà longtemps que le Père Noël de la consommation effrénée a étouffé le Petit Jésus sous ses monceaux de jouets en plastique ? Espérer a-t-il encore un sens ? Pour Cantos, la réponse est assurément affirmative. Sans quoi, il ne servirait à rien d’alerter, de conscientiser, d’éduquer. Certes, les images par lesquelles le peintre accomplit son sacerdoce ne sont pas du tout dans l’air du temps. Elles ignorent le plus souvent les sujets mièvres et elles n’ont pas l’apparence lisse et le fini sirupeux de l’art consensuel. Reflets du monde réel, décalques de ses aspérités, elles dérangent, interpellent, invitent à la réflexion. Elles sont de celles que seuls quelques connaisseurs courageux font entrer dans leurs salons ou dans leurs bureaux. Ces collectionneurs sont rares, mais ils existent. C’est sans doute à eux que Constantin Chariot, directeur associé de la Patinoire royale (Bruxelles), s’est adressé dans une contribution publiée par la Libre Belgique le 10 septembre dernier. « Entrer en Art, écrit ce spécialiste, c’est [..] prendre le parti de la résistance au matérialisme, en protégeant la part divine de l’homme, cette capacité unique qu’il a de symboliser le monde pour lui donner un sens. » Cantos est entré en Art au moment où il est sorti de l’adolescence. Cela fait plus de trente ans qu’image après image, chanson après chanson, il s’évertue à donner un sens au monde qui l’entoure.

L’exposition se tiendra du 7 décembre 2019 au 12 janvier 2020. Le vernissage en présence de l’artiste aura lieu le vendredi 6 décembre à partir de 18h30. J’aurai la joie de le présenter une nouvelle fois.

Alain Rézette, septembre 2019

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lluminations enténébrées. Discours du vernissage par Alain Rézette, galeriste. Vendredi 6 décembre 2019.

Dans mon texte intitulé « pour Christian Cantos ! », que vous avez pu lire dans Publivire ou sur Internet, j’ai annoncé que j’aurais le plaisir d’à nouveau présenter l’artiste ce soir.

« A nouveau » certes, mais surtout « enfin » parce que cela fait tout de même quatre ans que je n’ai pas eu cette agréable et périlleuse tâche.

Dans mon texte, j’ai utilisé le verbe « défendre » ; ce qui a étonné ; mais c’est le terme consacré ; et il correspond à la réalité. Pour convaincre – et, au-delà, pour vendre évidemment-, un artiste doit défendre ses choix. Cet exercice n’est pas toujours aisé parce que celui qui se défend lui-même a, comme dit l’adage,  le plus mauvais des avocats. C’est au critique, au conservateur de musée, au commissaire d’exposition, au médiateur culturel et en premier lieu au galeriste qu’incombe cette mission de défendre l’artiste.

On m’objectera que nombre d’artistes ne sont pas « défendus » et que cela ne les empêche pas de prospérer. Sans doute. Mais le plus souvent, c’est parce que ces artistes font le choix de ne pas s’exprimer. Forcément, une œuvre qui ne dit rien n’a pas à être justifiée. Le conformisme, le snobisme ou l’effet de mode suffisent habituellement à amener l’adhésion du public. Mais c’est, à mon avis, une piètre sanction pour un travail de création.

Le moment est donc venu de défendre, une fois encore, le travail de Christian Cantos, parce que lui, comme vous le savez, ne manque pas une occasion de l’ouvrir.

Commençons par nous remémorer les premiers versets d’un écrit bien connu.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide ; les ténèbres couvraient l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. »

Donc les ténèbres préexistent. Avant le Big Bang, c’est la nuit des temps. La vie est un don de la lumière. La lumière, c’est la vie.

Et que fait l’Homme aujourd’hui ? Il fait ce que montrent les tableaux accrochés dans cette exposition, que nous avons appelée « illuminations enténébrées ».

De la Terre, l’Homme fait monter les ténèbres. La seule lumière qu’il produit est artificielle. Elle ne sert qu’à gaver un gigantesque stade de foot.

L’Homme trahit ses engagements envers sa propre postérité. Il n’offre à la Terre qu’un sombre horizon.

L’Homme multiplie les écrans, qui sont autant de vecteurs de nouveaux obscurantismes.

Voilà quelques exemples de ce que nous dit Christian Cantos dont, de ce fait, certaines œuvres ne sont pas facilement vendables. Ça aussi, je l’ai écrit.

Mais nous sommes à Virton ; cité dont la plus grande peintresse avait elle aussi produit nombre de toiles qui n’étaient a priori guère plus vendables. J’ai nommé Marguerite Brouhon. J’ai démontré ici, dans une exposition passée, que « la » Marguerite n’était pas le peintre des chats que le folklore local a voulu créer, mais le peintre de la mort. Dans combien de foyers virtonnais ne trouve-t-on pas de tableaux avec la signature au chat donnant à voir suicides, dépouilles mortelles, crânes, allégories de la camarde, enterrements, chars funèbres, tombeaux, calvaires et autres memento mori ?

Et que disent ceux qui voient ces images et n’en connaissent pas l’auteur ? « Je ne mettrais pas ça chez moi. »

A bien y réfléchir, ce qui est en cause ici, dans ce que j’évoque, c’est la question même de l’artiste. Être ou ne pas être artiste. Pourquoi rêver d’être artiste ? Tous les artistes poursuivent-ils le même rêve ? Qu’est-ce qui anime chacun d’eux et en fait un créateur original ?

Revenons à Marguerite la virtonnaise qui n’a presque jamais peint Virton. Elle nous a laissé une œuvre considérable, littéraire et picturale, tout entière commandée par son spleen ; un spleen qu’elle a constamment cherché à dépasser, à transcender, à commuer en strophes et en images tendant à l’universel pour nous parler de la condition humaine.

Ce qui pousse Christian Cantos à créer tableaux et chansons, c’est sa révolte viscérale face à l’injustice sous toutes ses formes. Nous avons tous pu constater que Christian est d’une grande sensibilité, mais pour autant, en tant que créateur, il se départit presque toujours de l’affect, de la réaction immédiate et individuelle, pour lui aussi nous proposer des arguments universels.

Soit ! Mais, me dira-t-on, ne peut-on craindre un certain opportunisme dans le chef de notre artiste ? Les thèmes qu’il traite sont tout compte fait dans l’air du temps. Dénoncer la société de consommation, le gaspillage, la pollution, etc, c’est globalement tendance.

A cela, je répliquerai deux choses, tenant en deux mots : sincérité et authenticité.

Sincérité d’abord. Christian Cantos travaille ces mêmes thèmes depuis très longtemps. Son œuvre s’inscrit dans la continuité. Fausse couche qui est accrochée sur le palier date de 2009. Cold kiss, que vous pouvez voir actuellement au Cheval blanc, porte le même millésime. Cette préoccupation du devenir de l’Humanité qui se traduit par la récurrence dans les images de la représentation du globe terrestre, du robot et de la Bête de l’Apocalypse est une constante de l’œuvre.

Authenticité ensuite. Le hasard a voulu que se tienne actuellement au Palais des Beaux-arts de Lille une exposition intitulée « le rêve d’être artiste ». Pour le catalogue, la philosophe Nathalie Heinich a fourni une importante contribution décrivant le fonctionnement actuel du marché. Dans le dernier numéro de L’œil, Amélie Adamo en a repris les éléments essentiels dans un article courageux qui fait la couverture du magazine. Il en ressort que l’artiste contemporain qui réussit et s’impose sur le marché est un pur cynique qui renonce à s’exprimer et se borne à donner au marché ce que celui-ci attend de lui. Or le marché de l’art contemporain est en plein déni de réalité. Pour le dire en d’autres mots, si Guernica était peint aujourd’hui, ce tableau n’aurait aucune chance d’entrer dans un musée d’art contemporain. Alors, vous comprenez bien que si Christian Cantos était opportuniste, s’il voulait faire de la thune, il fermerait se gueule.

Le nouveau monde de l’art se construit donc sur le binôme cynisme-déni ; et cela pose problème. Je vous livre ici la conclusion d’Amélie Adamo.

« Ce qui devient un problème, au final, ce n’est pas que ce nouveau monde de l’art existe mais c’est qu’il tend à prendre toute la place, précarisant les artistes qui n’en adoptent pas les codes, et que, s’exhibant sous le costume de l’art, il ne met en scène qu’un spectacle vide dont le résultat ne laisse dans le fond que peu de chance de survie à ce qui fait véritablement œuvre, comme tentative et contre-pouvoir. »

Les tableaux de Christian Cantos sont remplis de sens et, en cela, font œuvre. Ils ont peu de chance de s’imposer dans le nouveau monde de l’art.

Alors vous allez me dire : « en fait, vous voulez nous vendre des tableaux qui n’ont aucun accès au marché ! »

A cela, je réponds que nous vivons en un siècle ou le nouveau est vite dépassé. On peut raisonnablement tabler sur le fait que la posture du déni qui fonde le nouveau marché de l’art sera à brève échéance balayée par une prise de conscience qui fait déjà son chemin dans les autres strates de la société globale.

Souvenons-nous donc que les marginaux d’hier, les Van Gogh, les refusés sont aujourd’hui des vedettes du marché.

Alain Rézette, décembre 2019

Christian CANTOS | <Notice> 
christian-cantos-expose-a-la-basilique-d-avioth-1476545876.jpg © L’Est Républicain 2016              Né le 30 novembre 1967 à Québec, Christian Cantos vit et travaille en Lorraine. Sa formation a débuté à la fin des années 70 à Elbeuf auprès du peintre Michel Leclerc (1934-2004). Elle s’est poursuivie, la décennie suivante, à la Maison des Arts d’Evreux.               L’artiste est aussi diplômé en infographie.  

            Cantos a créé un univers particulier composé de personnages standardisés ou stéréotypés (homme en pardessus et chapeau, sylphide nue ou court vêtue, danseuse, musicien). Le robot en a longtemps fait partie. L’environnement des êtres ou objets est majoritairement constitué de paysages urbains traités sommairement, voire à peine suggérés ou confinant à l’abstraction.

            L’œuvre s’alimente à trois sources principales. En premier viennent les écrits apocalyptiques ou bibliques qui constituent une importante référence récurrente et le ferment d’une réflexion éthique. Ensuite, ce sont les épreuves de la vie des gens ordinaires qui inspirent aussi le peintre. Celui-ci tire notamment des images de sa propre existence. Enfin, les grandes questions que soulève l’évolution actuelle de la société globale s’imposent régulièrement.

            Le style de Christian Cantos est souvent rapproché de celui de la bande dessinée. Il se distingue par une structuration de l’image au moyen d’un maillage total ou partiel de lignes et de formes anguleuses apparentes, de densité variable. Cette manière originale produit un effet de mosaïque plus ou moins affirmé que renforce souvent le faible contraste de tons entre les unités géométriques. Les formes sont simplifiées et les figures stylisées. Les œuvres sont principalement figuratives (rares œuvres abstraites).

            Quant à la technique, on relève qu’en 1998, le peintre a abandonné l’huile pour l’acrylique. Il lui arrive par ailleurs de recourir aux techniques mixtes (inclusion de photos, images de synthèse imprimées ou papiers).

            Cantos est aussi auteur-compositeur-interprète. Il a créé, avec le concours de l’écrivain Christian Dupont, une œuvre multiple intitulée La Quête consistant en une nouvelle complétée par douze toiles et douze chansons.

            Expositions individuelles en galerie ou en centre  d’art notamment à Beaune, Berlin, Bruxelles, Cattenom, Luxembourg, Metz, Paris, Reims, Rossignol (Belgique), Venise et Virton. A récemment été invité à présenter son travail à la Basilique d’Avioth et à l’Abbaye d’Orval. En permanence à la Galerie du Comble à Virton. Œuvre dans les collections du Musée Gaumais (Virton).

Alain Rézette, 2012/202